Tranches de vie

"J'ai découvert une discipline qui me fait vibrer"

16/12/2021
Sensibiliser les plus jeunes à l'importance de la prise de parole, c’est l’une de nos missions fondatrices. De septembre à novembre, 9 écoles secondaires bruxelloises se sont rencontrées, mélangées et se sont surtout exprimées. Retour en images sur le chemin parcouru par ces jeunes.

Premiers pas

Septembre, les écoles reprennent vie, c’est le retour au présentiel !
Même si chacun.e peut encore ressentir les conséquences de cette année « covid » tout le monde est sur le pont prêt  à se lancer dans de nouvelles aventures.
Et c’est dans ce contexte que nos animateurs sont partis à la rencontre des élèves.
Après quelques sourires timides et regards curieux, notre équipe installe le cadre d’écoute et de confiance. En somme, ils rassurent et assurent.
Brise glaces, jeux de présentation, jeux d’introduction à la prise de parole, conseils et outils pour chacun.e. Les graines sont semées et l’envie de recommencer est palpable !

Amitiés

Après deux visites au sein de chaque classe, le moment tant attendu, mais également redouté de la rencontre avec les autres écoles participantes a sonné. Cet instant si précieux se vit en douceur au Cinéma Galeries. Afin d'illustrer au mieux notre projet et d'approfondir la thématique de la prise de parole, le film choisi est "À voix haute" de Stéphane de Freitas.À la fin de la séance, les élèves sont divisés en petits groupes composés de jeunes de chaque école. Ensuite, les équipes encore un peu timides partent débattre et faire connaissance avec leurs animateurs respectifs. C'est à ce moment précis que les langues commencent à se délier et les amitiés à se créer.

Réflexions

Une semaine plus tard, les élèves sont accueillis dans la salle Dupréel de l’ULB. Une fois le déroulé de la journée présenté, ils partent en animation par petit groupe. Au programme, écriture d’un éloge paradoxal, rappel des principes de la rhétorique et en un acronyme, ils apprennent les ingrédients de la recette secrète d’un discours réussi : ENARP (Exorde, Narration, Argumentation, Réfutation, Péroraison), authenticité, disponibilité, audace, … Avant la pause de midi, les élèves tirent au sort les sujets et les positions qu’ils défendront sur scène dans les heures qui suivent ; Les convictions sont-elles des prisons ? Faut-il détruire pour reconstruire ? Les héros sont-ils lucides ? L’ordre doit-il régner ? De grandes questions et deux petites heures pour y répondre. Après la pause, chaque équipe choisit les cinq jouteurs qui la représentera devant le Jury. Toujours en équipe, et avec l’aide de leur coach, les élèves aux parcours scolaires variés préparent leur argumentation.

Intensité

Monter sur scène pour la première fois : des larmes, des tremblements mais surtout de la détermination. À la fin de ces joutes, 6 équipes seront sélectionnées pour la demi-finale du 27 octobre. Des tonnerres d’applaudissements pour féliciter les gagnants. Des mains et des regards compatissants pour soutenir ceux qui n’iront pas en demi. Une dynamique de solidarité, de dépassement de soi et de fierté pour les autres, c’est ce qui se dégageait de ces quarts de finale. Les propos de Marie Bourel, enseignante à l’Institut Diderot, confirment cette impression : « j’étais inquiète pour ma classe, ils sont plus jeunes, les autres écoles s’expriment plus que nous […] mais je trouve que tout le monde est hyper à l’écoute et mes élèves se sont fait des amis dans d’autres écoles.»

Dépassement

Nous sommes mercredi 27 octobre 19h, à la fin de la soirée, les quatre équipes finalistes seront choisies. Mais pour vous raconter cette soirée, voici les mots d'Olenka, Philosophe et formatrice Réciproque.

Le chrono est lancé. 2 minutes.
120 secondes allouées aux deux équipes pour préparer leur conclusion.
Il fait chaud, l’air manque dans cette salle bondée, la clameur s’élève. Il y a un instant à peine, la dernière jouteuse achevait son discours. Elle avait laissé un silence avant de s’incliner et de susciter un tonnerre d’applaudissements.

Pendant vingt minutes, les deux équipes avaient confronté leurs arguments. À la question posée, l’une devait défendre le « pour », l’autre le « contre ».  Les jouteurs et les jouteuses avaient cité des exemples, convoqué des anciens pour appuyer leurs dires, avaient réfuté, expliqué, attisé l’émotion du public, activé les neurones de la salle. Il avait fallu les suivre dans les raisonnements. Certains dans le public avaient été bercés par un regard, une posture, l’intonation ou les silences. D’autres avaient écouté attentivement, suivant la logique, saisissant les définitions, scrutant les contradictions. La première partie est terminée. Tous les textes préparés ont été exposés.  Maintenant, c’est le temps de la conclusion, et elle, elle n’est pas préparée. Les équipes ont deux minutes pour la créer.

Le chrono est lancé. 2 minutes.
Les coachs bondissent de leur chaise, les jouteuses et les jouteurs, d’un hochement de tête, se mettent d’accord sur celui qui conclura. C’est le plus solide de l’équipe, le plus rapide. Il fera ça bien, tout le monde en convient, mais il faut l’aider. Revenir sur ce que l’équipe adverse a dit. Démonter un de leurs arguments, ou mieux, le récupérer, prouver que leur exemple peut se retourner contre leur thèse. Il est assis, calme, face à sa feuille.  Toute son équipe l’entoure, ils et elles sont tout autour de lui, à sa gauche, à sa droite, debout en face ou derrière lui. Il prend un crayon et note tout ce qu’il entend.  Six têtes penchées l’entourent, la coach lance une idée, un jouteur la saisit et la complète, une jouteuse acquiesce.  Malgré le brouhaha du public, il entend avec acuité les propositions qui l’aideront à construire sa conclusion. Il barre, souligne, trace des flèches, entoure les mots-clés.
Le micro crépite et les mots tombent :  « les deux minutes sont passées ! ». Chacun termine sa phrase, lui tape dans le dos, à lui à qui échoue la tâche la plus difficile de la joute. Il est en train de construire son texte dans sa tête, il emmagasine tout ce qu’on lui a dit. À sa gauche et à sa droite, deux personnes encore debout lui parlent.  Une dans l’oreille droite, l’autre  dans la gauche, et lui, au paroxysme de la concentration, il synthétise tout ça.   « Mesdames et messieurs, nous allons reprendre, veuillez vous assoir s’il vous plaît ». Progressivement, chacun va se rassoir.

Dans un instant, il va se lever. C’est lui qui doit commencer. En attendant le silence complet, sa voisine lui souffle encore, en toute hâte, une idée qu’elle veut lui partager. Ce moment d’une extrême attention, ce moment de soutien total d’une équipe envers l’un de ses jouteurs, ce moment où nul ne sait encore de quoi sera faite cette conclusion, une femme en saisit l’intensité. Elle est assise dans le public et les observe avec admiration. Elle dégaine son téléphone pour les prendre en photo, elle veut saisir les yeux plissés et le hochement de tête du jouteur, l’urgence de celle qui veut encore vite lui glisser une idée. Elle allume son smartphone, choisit le mode appareil photo, mais trop tard, elle a raté le moment, les visages se sont déjà détournés. Son cliché est raté. Alors elle se dit qu’à défaut d’image, elle le décrira avec des mots, cet instant sacré.

Accomplissements

Ça y est, nous sommes le 10 novembre dans l'Auditoire Henri Lafontaine de l'ULB. Le public composé de familles, amis, passionnés de joutes oratoires arrive en masse, impatient à l'idée de vibrer face aux mots de ces jeunes. Les membres du Jury, Simon Menschaert (avocat), Juliette Lafosse (juriste), Mpeya (slameur) et Caroline Désir(Ministre de l'éducation), sont déjà sur place, l'équipe encadrante répond à leurs questions. Ils sont curieux et se demandent ce qui les attend.Pendant ce temps-là, dans la salle, la pression monte, les jouteurs sont en ébullition, le stress se fait ressentir. Les questions qui seront débattues sont les suivantes :

  • Est-il fou de croire en Dieu ?
  • Est-il raisonnable d’aimer à la folie ?


Le maître de cérémonie, Pierre-Yves Rosset entre en scène, la soirée débute enfin. Les membres du Jury s'installent et le coup d'envoi est lancé. Chaque instant, chaque mot est savouré. Les joutes se terminent avec un goût de trop peu et les membres du Jury se retirent pour revenir quelques instants plus tard avec les résultats, mais également des retours remplis de bienveillance pour chaque jeune. La pression retombe, les résultats sont annoncés et les souvenirs et les rencontres de ces quelques semaines resteront dans les mémoires. L’aventure « Réciproque » aura ainsi sensibilisé les jeunes orateurs à la nécessité de s’exprimer, de prendre sa place dans le débat citoyen, d’oser les mots pour défendre ses idées, mais aussi d’écouter activement ceux des autres.L’échange au cœur de la parole !

Je terminerai cet article par le témoignage de Christophe Reyns, enseignant à l'ISND

À toute la "famille" Réciproque,
Je voudrais sincèrement vous remercier pour cette aventure exceptionnelle que vous avez fait vivre à nos jeunes. Vous avez réuni tous les ingrédients pour créer une précieuse cohésion et une grande motivation au sein des équipes et de ce concours. Les coachs les ont "portés" à merveille et leur ont permis de progresser, de croire en eux et de libérer leur parole. Ils ont intégré une famille et partagé des moments riches et tellement humains. Ils ont appris à se connaître. Ils en ressortent soudés. C'est beau à voir !
"J'aimerais faire partie des ambassadeurs" ; "Je veux tenter ma chance dans le prochain concours" ; "J'ai découvert une discipline qui me fait vibrer" ; "Je ne peux pas m'arrêter là. Je vais m'entraîner tous les jours et mes parents me soutiennent." Ces témoignages nous montrent à quel point ils ont pris goût à cet univers des joutes verbales et qu'ils sont prêts à affronter de nouveaux défis. À se poser les "bonnes questions" et à y amener des réponses avec une grande lucidité.
Nous avons beaucoup de chance de vous connaître et d'avoir fait partie de cette aventure. Sur scène, hier soir, ils ont brillé et fait la fierté de leur famille, leurs professeurs, leurs ami(e)s et leurs coachs. Ils ont eu raison d'y croire, de persévérer, d'aimer ce projet. À la folie ! Vous leur avez pleinement permis de prendre cette parole !
Merci du fond du cœur, et à bientôt pour d'autres aventures !

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