Le mot m'échappe 

Le travail est-il une valeur ?

16/10/2023
On le fréquente, on s’habitue à sa compagnie pour un jour se rendre compte qu’on ne le connaissait pas vraiment. Alors que l’on se définit souvent à travers la relation que l’on entretient avec le travail, Ilyas nous invite à la reconsidérer.

« Moi, mon fils ? C’est un travailleur. C’est simple, il travaille toute la journée. Et il se lève tôt pour aller travailler. Puis quand il rentre, il travaille. Le week-end, il travaille. Même pendant ses vacances, il n’arrête pas de travailler. On est si fier·e·s de lui. Tu sais c’est comme ça qu’on l’a éduqué. C’est important de travailler. »

« Travaille, travaille... Travaille mon fils, le travail c’est jamais fini. Travaille mon fils si tu veux réussir ta vie. »

Alors moi... j’ai travaillé, croyez-moi j’ai travaillé. Des heures étudiantes, à ne plus les compter. Tous les jobs imaginables, je les ai essayés. Depuis l’âge de 15 ans j’ai toujours travaillé.

Mais au fait, qui es-tu travail ?

Je t'ai accordé toutes ces années de ma vie sans même que tu te sois présenté. Comment as-tu fait pour si longtemps réussir à me duper ?

Le travail est-il une valeur ? Ce qui est certain, c’est qu’il est souvent associé à ces valeurs universelles. Vous savez, on aurait donc dans le même panier le respect (du latin respicere signifiant se retourner, au sens de considérer l’autre), à côté : l’honnêteté (du latin honestus désignant une personne digne d’estime), et... avec eux on aurait le travail (du latin tripalium : un instrument de torture).

Quel affront à nos valeurs humaines que de prétendre que le travail puisse se placer au même rang que ces qualités.

« Si tu travailles, tout va bien se passer ... »

Oui, bien-sûr... Historiquement, le travail désigne la souffrance. Comment oublier cette ultime provocation à l’entrée des camps de concentration : « Arbeit macht frei » : Le travail rend libre ». Comment oublier ces camps de « travail » en Chine où des centaines de milliers d’Ouïghours sont enfermé·e·s et forcé·e·s de travailler au seul motif qu’iels ne sont pas de la bonne confession.

Comment expliquer qu’une prétendue valeur puisse être au coeur des pires versants de l’histoire de l’humanité ?

« Travaille, si tu veux réussir ta vie... »

Alors, qu’on le veuille ou non, dans un travail la plupart d’entre nous allons nous retrouver.

Enfin... sauf les marginalisé·e·s, celles et ceux que l’on ne sait même pas comment nommer, celles et ceux qui aux yeux du système n’ont jamais vraiment existé.

Ah ce système… Productivité pour atteindre la rentabilité. Rentabilité pour justifier la nécessité de productivité. Le capitalisme...

Beaucoup le définissent comme le système basé sur la production de... valeur. Quelle audace ! De quelle valeur parle-t-on réellement ?

Après la pandémie qui nous a frappé·e·s, c’est la question que beaucoup se sont posée. Quelle valeur j’apporte à la société ?

En avril 2021, c’est plus de 700.000 employé·e·s américain·e·s qui ont décidé de dire stop. Stop à ces prisons du 9-17 rythmées par les tics et les tacs. Stop à ces diktats qui placent le travail comme raison d’exister. Stop à compter les années avant ce jour où enfin on pourra s’arrêter.

Si le travail est réellement une valeur, pourquoi attendre avec impatience ce jour où nos cheveux blancs pourront le quitter ?

Mais arrêtez. Parlez-moi d’amour, de partage, de vraies valeurs. Parlez-moi de ce qui peut me tirer vers le haut.

Ne voyez-vous pas que le travail est l’auteur de bien plus de maux que de beau.

« Mais au moins, plus tu travailles, plus tu auras... » Allez dire ça :

- À ces diplômé·e·s surqualifié·e·s à qui le marché du travail laisse un goût amer

- À ces enfants d’immigré·e·s frappé·e·s par la violence des plafonds de verre

- À ces femmes qui par essence doivent renoncer à une partie de leur salaire

Allez leur dire qu’iels devraient juste travailler un peu plus...

La méritocratie. Cette fameuse carte brandie par celles et ceux qui ont « réussi ». (Selon qui ? Selon quoi ? Soit, Je m’arrête là)

La méritocratie, quelle belle illusion. Le travail est injuste. Le travail n’est pas une valeur...

Et il n’a pas non plus le sens de la valeur. Non, non, non... un diplôme obtenu là-bas n’a pas le même poids qu’un diplôme obtenu ici. Bachelier, master. Traduction, gestion. Que ne-nni. Ici, le travail ne fait pas le poids sur la balance du marché de l’emploi.

Ici, comme là-bas, cela ne dépend pas de toi. Mais trop souvent de celles et ceux dont tu marches sur les pas.

Eh oui, le népotisme n’est clairement pas à ranger dans les livres d’histoires.

Réseautage, copinage, pistonnage, appelez-le comme bon vous semble... Trop souvent, le mérite et notre société ne riment pas ensemble.

Alors, j’entends ces pères et mères de famille qui, avant le soleil, se lèvent pour s’assurer que leurs enfants ne manquent de rien.

Ces parents qui ont accepté de se sacrifier pour permettre à leurs bambins de plus tard les dépasser.

Le travail n’est-il pas là une valeur, me direz-vous ?

Eh bien non... Les travailleur·euse·s sont certes valeureux·euses. Mais en aucun cas, le travail est une valeur.

La confusion a lieu entre le moyen et la fin. Le travail est un moyen, certainement pas une fin.

Car en fin de compte, quelle valeur réside dans le martèlement des touches de leurs clavier, dans les va-et-vient incessants de leurs balais ? AUCUNE. La valeur se trouve dans la fin, pas dans le moyen.

Travailler pour subvenir au besoin des sien·ne·s ? Quelle belle valeur qu’est l’amour. Travailler pour aiguiser son talent ? Quelle belle valeur qu’est l’humilité.

Travailler pour que chacun·e puisse mettre ses capacités à contribution de la société. Platon a vu juste. Quelles belles valeurs que sont la réciprocité, la solidarité, la justice sociale.

Alors j’espère que ça aura le mérite d’être clair : mon propos n’est pas à ranger dans le tiroir des utopistes.

J’en suis bien conscient. Avant que notre modèle de société ne change, le travail est pour la plupart d’entre nous une nécessité.

La position que je défends est celle qui appelle à ne pas faire l’erreur de l’ériger en valeur.

Indignons-nous. Ne travaillons pas plus. Organisation, automatisation, indépendance, entreprenariat. Travaillons mieux. Cher·e·s membres du jury, ne tombons pas dans le panneau. Le travail n’est pas une valeur.

Alors même s’il faut travailler pour vivre, jamais Ô grand jamais ne vivons pour travailler.

Inscrivez-vous à notre Newsletter

Abonnez vous à la newsletter de Réciproque pour recevoir toutes nos actualités
Merci ! Vous êtes inscrits
Oups ! Une erreur s'est produite
Comme vous, on déteste les spams.