Le mot m'échappe 

"Nos corps sont-ils barreaux ?" - Le contre

6/1/2025
Est-ce qu'on a tous mis le même parfum ? Ça sent bon, cette salle est embaumée d'un intérêt à la culture. Je pense que c'est ce qui nous rassemble tous et toutes ce soir, mais c'est aussi ce qui rassemble l'humanité depuis son berceau. Lévi-Strauss nous l'a dit : la culture est un ensemble de systèmes symboliques auxquels nous participons tous.

La culture est au cœur de l'humain, et le corps est au cœur de de la culture. Alors non, le corps n'est pas un barreau, il est une mosaïque de cultures et de partages. Le corps est une fresque d'échanges, fruit des rencontres de milliards d'hommes et de femmes avant toi.

L'unicité de tes traits porte la preuve vivante que ton corps est une histoire, pas une prison. Le corps est un affamé d'apprentissage, pas un barreau.

Le corps est un regard d'empathie, pas un barreau. Merci aux neurones miroirs, le corps est art. Le corps est une porte dont la clé est la langue. Et même lorsqu'on ne parle pas, le corps danse et chante. Le corps est une mélodie qui n'a cessé de rassembler l'humanité. La danse est au cœur du corps, les barreaux eux ne dansent pas. Dites-moi, si les barreaux dansaient, chantaient, s'aimaient ou se détestaient, ça se saurait.

Alors oui, le corps est parfois bourreau, mais il n'est jamais barreau.

Les corps dansent, et aujourd'hui, vous assistez au bal de nos mots.

Vos corps rythment à la mélodie de nos arguments, en accord ou en désaccord. Nos jouteurs vont et viennent, formant un orchestre charmant. Nous espérons ne pas chanter faux. Mais à la finale de cet opéra, que l'on gagne ou que l'on perde, nos corps nous offrent ce soir la liberté des mots. La liberté d'expression est fondamentale et le corps en est le premier outil. L'utopie n'est pas dans la salle mondiale. En 150 jours, 137 journalistes gazaouis ont été tués par l'armée israélienne. Trop de corps sont morts pour cette liberté volée. Soyons conscients du pouvoir du corps comme vecteur de notre expression, tout en gardant en mémoire ceux qui, dans l'ombre, se battent pour que leurs mots soient entendus. Le corps bouge et explore depuis l'aube de l'humanité. Nomades, explorateurs, astronautes ou simples Bruxellois sur la STIB, nous ne cessons de nous mouvoir.

Des figures comme Ibn Battuta, explorateur marocain qui a traversé trois continents au 14e siècle, et l'amiral chinois Zheng He, qui a dirigé d'immenses expéditions sous la dynastie Ming, illustrent le corps humain comme un outil d'exploration sans limites. Et bien sûr, Neil Armstrong et son équipe On est partis sur la lune, les gars, on peut arrêter le débat là ?

Même quand le corps est différent, les athlètes paralympiques et l'alpiniste aveugle Erik Weihenmayer, qui a gravi l'Everest, démontrent que le corps, sous toutes ses formes, demeure un vecteur de découvertes et d'accomplissements. Des accomplissements compliqués lorsqu'on est femme, racisée ou voilée. Ce ne sont ni nos corps, ni nos choix qui sont des barreaux, mais bien les barrières externes.

Les stéréotypes dans lesquels ils s'enferment, ou le plafond de verre, font que seulement 18,8 % des CEO en Belgique sont des femmes, malgré leur présence majoritaire à l'université.

Tu étudies trop, ou pas assez. Tu parles trop, ou trop peu. Tu t'habilles trop, ou pas assez. Ne parle pas trop fort. Ne rigole pas si fort. Allez, rigole, c'est rien. Depuis toujours on tente de placer les corps des femmes dans des carcans, sous des corsets.

Nos corps ne sont pas de prisons nos corps sont nos chansons, écrites à l'encre de nos décisions. Nos corps ne sont pas des barreaux. Ce sont des outils de vie et de résistance.

Rendons hommage ce soir à l'une des populations les plus précarisées du pays : les mères seules, dont 44 % vivent sous le seuil de pauvreté.

Elles portent à la fois le poids des mots et le poids des mômes.

Leur corps sont porteurs de vie et portent nos sociétés, de véritables pilliers.

Mère frigo, mère poule, mère porteuse, mère aimante, mère tyran, ou juste femme sans enfant. Pas mariée ou pas mariable. Trop engagée ou trop maniable. Fille facile, fille débile. Trop masculine, trop féminine.

Assez de leur coller une étiquette. Leur corps et leurs choix ne doivent plus jamais être dictés par ces lois qui tentent de les enfermer dans des parois.

Leurs plaintes frôlent parfois le parloir, et au barreau, leurs bourreaux sont rarement ceux derrière les barreaux.

Leur corps ne doivent plus être des barreaux, sil vous plait, plus jamais. Le corps est une arme contre l'oppression, une voix qui se lève lorsque la justice échoue. Qui manifeste dans les rues, qui s'unit quand il fait nuit, qui fait grève quand on l'ennuie.

Et parfois, le corps s'immole, les bourreaux ne se désolent pas, et la justice se déboussole.

Du soulèvement de Mai 68 aux révolutions du Printemps Arabe, le corps a toujours été un vecteur d'expression politique. Dans des actes extrêmes, comme l'immolation de Mohamed Bouazizi en Tunisie, il devient un symbole de révolte, une flamme qui embrase les consciences.

Ce ne sont pas nos corps qui nous enferment, mais les injustices qui les entourent. Le corps n'est pas un barreau, mais son sort n'est pas toujours beau.

Il devient parfois chair à canon ou bouclier humain. Pendant les guerres, les dirigeants militaires et politiques réduisent souvent des corps à de simples objets sacrificiels, comme les tirailleurs venus d'ailleurs, sacrifiés au nom d'une nation qui ne les voit que comme de la chair à canon. Pendant la Première Guerre mondiale, la France a envoyé 200 000 tirailleurs sénégalais combattre l'Allemagne, dont 30 000 ont perdu la vie, ainsi que des milliers de Marocains, Algériens et Tunisiens. Leurs corps, utilisés comme outils de guerre, sont devenus des sacrifices oubliés.

Aujourd'hui encore, le corps est utilisé comme arme. Au Liban l'idée de 'boucliers humains' est invoquée par Israël pour justifier ses crimes. À ce jour, l'armée la plus morale du monde a coûté la vie à plus de 500 civils libanais, dont 35 enfants. Chaire à canon, victimes collatérales, boucliers humains... Ne voyez-vous donc pas que leurs corps ne sont pas des barreaux ?

Leur corps n'étaient pas des barreaux, ils étaient malheureusement bien pire. Je vous demande de ne pas les oublier : tous les corps qui s'écroulent aujourd'hui sous les génocides : palestiniens, congolais, soudanais. Et ceux qui sont enterrés depuis longtemps pour les mêmes raisons : Arméniens, Juifs, Tutsi, Tasmaniens, Herero, Mayas, Aztèques, et tant d'autres. Bien que leurs corps soient sous terre, ils demeurent porteurs de mémoire.

Il y en a sûrement que je n'ai pas cités, peut-être même que l'histoire a oubliés, et j'en suis désolée. Ce soir, je termine mon opéra sur une hymne commémorative ; je vous demande juste de les considérer. Loin d'être des barreaux rigides et sans histoire, ils sont des cœurs qui ont battu et que l'on a abattus. Ils sont les témoins de l'histoire que nous devons honorer. N'oublions jamais que chaque corps, chaque histoire compte. Ne faisons plus des corps des barreaux qui enferment l'humanité.

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